1-La femme et le lion
Une femme avait été enlevée de force et emmenée par les ennemis. Elle leur échappa en route, et rencontra un lion qui la pris sur son dos et la porta jusqu’au village.
Les compatriotes de cette femme se réjouirent de son retour et lui demandèrent qui l’avait emmenée.
-Un lion, répondit-elle ; il a été bon pour moi, mais il a l’haleine mauvaise.
Le lion qui était blotti près de là, entendit ses propos et partit.
Quelques nuits passèrent ensuite, et la femme allant au bois rencontra un lion qui lui dit :
-Prends un morceau de bois et frappe moi.
-Je ne te frapperai pas, dit-elle, car un lion m’a rendu service, et je ne sais pas si c’est toi ou un autre.
-C’est moi, fit-il.
-Alors je ne puis te frapper.
-Frappe-moi avec ce morceau de bois, ou je te mangerai.
-Elle prit donc un morceau de bois, le frappa et le blessa ; le lion lui dit alors :
-Maintenant tu peux partir.
Deux ou trois mois après cela, le lion et la femme se rencontrèrent de nouveau, le lion dit :
-Voilà l’endroit où tu m’as blessé ; est-il guéri ou non ?
-Il est guéri, répondit la femme.
-Le poil a-t-il repoussé ?
-Certainement.
-Une blessure se guérit habituellement, dit alors le lion, mais non le mal que fait une mauvaise parole. Je préfère un coup d’épée, aux atteintes de la langue d’une femme.
Cela dit, il l’emporta et la mangea.
Conte Targui, L'Hocine Benchikh Ath Melloouya.
2-Histoire de trois figues
Un riche propriétaire avait, dans son jardin, un magnifique figuier, ombrageant de ses larges feuilles les alentours où tout n'était que fraîcheur. Mais jamais ce bel arbre n'avait produit de fruits.
Or, un jour, ô miracle, trois énormes figues apparurent dans les hautes branches. Ces figues étaient si grosses qu'elles firent l'admiration de tout le voisinage qui venait
voir ces trois phénomènes !
Le propriétaire de l'arbre les soigna avec amour. Quand elles furent mûres à point, toutes rutilantes et gonflées de miel, il décida, en bon sujet, de les offrir au sultan, car ces fruits beaux et appétissants, ne pouvaient être dégustés que par une bouche princière.
Aussi, convoqua-t-il son fils Mourad, alors âgé de douze ans. Il lui montra une jolie corbeille garnie de feuilles de figuier, sur lesquelles s'étalaient les fruits magnifiques. Il lui dit solennellement :
"O mon fils ! prunelle de mes yeux ! je te charge d'aller porter ce présent à notre grand sultan afin de lui prouver mon attachement ; dis-lui bien que ce sont les uniques fruits de mon figuier, que je les ai soignés avec patience et tendresse et que je les lui offre en cadeau avec tout mon respect ! Répète-lui mes paroles. J'ai dit ! Va, maintenant !"
Et notre Mourad partit d'un bon pas, l'anse de la corbeille passée à son bras.
Il devait parcourir plus d'une lieue et il faisait chaud !
Le pauvre garçon transpirait beaucoup et avait très soif. Mais aucune source ni aucun ruisseau ne serpentait le long de sa route.
Il s'arrêtait un moment auprès d'un maigre cactus et se reposa.
Regardant avec envie les fruits si juteux, il se disait que le sultan avait bien de la chance de pouvoir les déguster.
S'il en goûtait un, il en resterait encore deux, ce qui satisferait amplement ce seigneur, ils étaient si gros !
Alors, incapable de résister à la tentation, il en prit un dans la corbeille et, le portant à sa bouche, l'engloutit en un instant.
Que c'était bon ! On aurait dit une coulée de miel dans son gosier si sec !
Il reprit ensuite sa route. La soif devenait de plus en plus intense, car le sucre contenu dans la figue l'altérait encore davantage.
Il s'arrêta une seconde fois à quelque cinq cents mètres du palais dont il apercevait déjà les toits pointus. Mis en goût par le premier fruit, il en prit un second dans la corbeille et l'avala tout aussi vite que l'autre.
Après seulement, il réalisa qu'il venait de commettre une mauvaise action !
Mais le pauvre Mourad était un peu naïf. Dans son esprit enfantin, il se dit qu'après tout, une seule figue suffisait, et que le sultan en serait ravi !
il arriva enfin devant la grille du palais. Il demanda à l'un des gardes la permission d'entrer afin de remettre au seigneur comme présent le fruit le plus beau de tout le royaume.
Il fut introduit auprès du sultan et se jetant à ses pieds, le jeune garçon avoua sa faute :
"O noble seigneur, le plus grand ! pardonne à ton humble serviteur, je suis coupable d'une vilaine action et je te demande de me punir très sévèrement ! Vois ! je t'ai apporté une seule de ces figues merveilleuses que mon père avait cultivées pour toi, O grand sultan. Mais, quand il m'a remis la corbeille, celle-ci en contenait trois ; j'en ai donc mangé deux."
Et il lui conta sa soif d'une façon très naïve. Alors, le seigneur, homme très bon, sourit dans sa barbe et demanda en voyant l'énorme fruit qui reposait dans la corbeille :
"Comment as-tu pu faire pour manger ces deux figues, car elles me paraissaient énormes ?
- C'est très simple dit Mourad, j'ai fait comme ceci !"
Et, prenant le dernier fruit, il mordit dedans et l'avala en deux bouchées.
Le sultan, un peu choqué tout d'abord, eut un geste de protestation. Mais, se rendant compte que l'enfant était un innocent, il caressa sa tête brune et le fit asseoir près de lui au bord de la marche menant au trône.
Le sultan fit ensuite remplir la petite corbeille de belles pièces d'or. Il pria le petit Mourad de l'offrir à son père et de le remercier pour les fruits qu'il n'avait pas goûtés. Il se doutait bien que le père comprendrait.
Mourad retourna chez lui, le coeur content et l'âme tranquille, car il pensait avoir accompli le voeu de son père.
Extrait de "Contes maghrébins" (Ed. Fleuve et Flamma).
3-Un élève étrange
Il était une fois un maître sage qui vivait dans la pauvreté mais il était aimé et admiré par tous. Au fur et à mesure que les jours passaient, le sultan en devint jaloux. Un jour, le sultan fit venir le maître sage et lui dit : "Je vais te confier un élève. Je t'accorde trois ans pour lui enseigner le Coran".
Il lui présenta un chameau. "Voici ton élève, si tu refuses, je te mettrai dans un cachot qui sera ta prison à vie".
Le maître s'en alla tout triste. Au cours de son chemin, il rencontra un philosophe, alors
il lui demanda conseil.
"Homme instruit, lui dit le philosophe, ta science te rend aveugle. Peux-tu connaître les desseins de Dieu ? D'ici trois ans, tu peux mourir,
le sultan peut mourir et tu te trouveras possesseur d'un chameau et tu te trouveras plus riche que tu ne l'es à présent."
C'est ce qui arriva. Le sultan ne tarda pas à mourir et nul ne songe à réclamer le chameau.
Depuis ce jour, sagesse, science et vivacité faisaient bon ménage chez le maître, redevenu heureux après cette pénible épreuve.
D'après Mouloud Feraoun.
4-Un couple de miséreux
Il était une fois un homme très pauvre qui vivait dans une modeste demeure avec son épouse. Un jour, sa femme lui demanda de lui acheter un peigne pour démêler ses longs cheveux. Fort affligé, il lui répondit qu'il n'avait même pas assez d'argent pour réparer sa montre qu'il venait de casser. Il était triste pour lui et n'insista pas.
Le lendemain, en allant à son travail, l'homme passa chez l'horloger à qui il revendit sa montre pour un prix modique. Avec cet argent, il acheta un peigne à son épouse.
Le soir, il rentra à la maison, serrant le peigne dans sa main, impatient de l'offrir. Quelle ne fut sa surprise lorsqu'il vit que son épouse s'était coupée les cheveux très courts ! Quand il vit qu'elle tenait à la main un nouveau bracelet montre, il comprit qu'elle avait vendu sa chevelure pour lui faire plaisir.
Ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre, les yeux pleins de larmes, non pour l'inutilité de leur acte, mais pour la réciprocité de leur amour.
Conte populaire.
5-L'homme-serpent
Il était une fois une femme qui n'avait pas d'enfants. Un jour, à la fontaine, elle formula le désir d'en avoir un, ne serait-ce qu'un serpent. Son voeux se réalisa. Elle eut un garçon. C'était un beau jeune homme, aux cheveux soyeux et aux joues rebondies et roses, mais qui se transformait en serpent le soir venu. Et tout le village se moquait de lui. Quand il fallut le marier, ses parents cherchèrent très loin des jeunes filles qui ne connaissaient pas l'histoire extraordinaire du jeune homme-serpent.
Un jour, la plus belle des jeunes filles à marier se penchant sur la fontaine, entendit une voix, celle d'une fée lui dire : "Tu te marieras avec un jeune homme-serpent, grâce à une phrase magique tu pourras rompre l'enchantement."
La belle fut mariée. Le soir de ses noces, le jeune époux se transforma, une fois encore en serpent. Alors, elle prononça la formule magique que la fée lui avait soufflé : le jeune homme retrouva sa forme humaine.
Et depuis ce jour, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.
Conte berbère.
6-La jarre d'or
1. Il y avait une fois deux enfants, une fille et un garçon, qui étaient orphelins de père et de mère. La famille était très pauvre. Elle ne possédait qu'une vieille demeure et un bout de jardin, trop petit pour les faire vivre. Le petit garçon était encore un bébé. La petite fille lui donnait le biberon. Elle le prenait sur son dos pour aller travailler aux champs.
2. Un jour, en grattant la terre de son jardin avec une binette, elle retourna une pierre sous laquelle se trouvait une jarre pleine d'or. Elle recacha soigneusement la jarre et s'en alla, après avoir fait une marque sur la pierre.
3. L'enfant continua de grandir grâce aux soins de sa soeur, qui lui dit un jour :
"Oh ! mon petit frère, si jamais Dieu nous donne de l'argent, qu'en ferons-nous ?
- Eh bien ! répondit l'enfant, nous achèterons des bonbons et des jouets."
4. Quelques années plus tard, elle lui posa la même question et le garçon répondit cette fois :
"O, ma soeur, si Dieu nous donne de l'argent, nous achèterons une ferme, une petite maison, une étable, un boeuf, des vaches, des moutons, des chèvres."
La grande soeur comprit que son frère était devenu raisonnable.
"C'est bien, dit-elle, nous aurons de l'argent."
Elle alla chercher la jarre et bientôt ils achetèrent une ferme avec l'or qu'elle avait rapporté.
E. DERMEGHEM, Contes kabyles.
7-Le lion et le rat
L'on raconte qu'aux temps anciens, vivait un rat gourmand qui, appâté par une forte odeur de fromage voulait en prendre un bout. Mais il fut pris dans un piège. Il se mit alors à se débattre, à crier mais en vain.
Passait par là, un lion, maître de la forêt, fier de sa force et de son allure, terrorisant par ses rugissements tout ce qui bougeait. Il vit le petit rat pris au piège et d'un simple coup de patte, il le délivra. Le rat bondit, hors du danger, remercia le roi et lui tint à peu près ce langage.
"O maître, vous m'avez sauvé, je vous dois la vie, je n'oublierais jamais ceci. Si un jour, vous avez besoin de moi, je serai à votre disposition."
Le lion se fâcha de ce qu'il prit pour de la prétention de la part du petit rat et lui dit d'une voix tremblante de rage : "Que peux-tu donc faire pour moi, petite bestiole, moi qui suis, le roi des animaux ?"
Les jours passèrent, maître lion fut pris dans un filet de chasseurs. Il roula par terre, se démena comme un fou pour se délivrer, rugit de toutes ses forces, mais personne ne pouvait l'approcher, personne ne pouvait le sauver. Survint alors, le petit rat qui lui dit : "Maître, voici l'occasion que j'attendais, ne bougez pas, je vais vous sortir de là."
Terrifié par sa captivité, le lion lui hurla : "Ote-toi de là, misérable rat, comment peux-tu me sauver ?"
Le rat ne tint pas compte des menaces du lion. Il se mit à grignoter le filet qui céda petit à petit sous ses dents, jusqu'à ce qu'il fit un trou assez large pour permettre au lion de sortir.
Le maître de la forêt qui ne croyait pas qu'un petit rat pouvait lui sauver la vie, n'en revenait pas.
C'est vrai qu'on a toujours besoin d'un plus petit que soi.
Contes de berbérie et du monde.